Henri Guillemin - L’ÉTÉ 1914 : Différence entre versions
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« Nous arrivons au dénouement, et c’est le moment d’avoir les yeux… bien ouverts. Alors je vais partir de l’article 231 du Traité de Versailles. L’Allemagne et ses alliés, sont responsables, pour les avoir causés, de toutes les pertes et dommages subis par les gouvernements alliés, en conséquence de la guerre qui leur a été imposée (qui leur a été imposée) par l’Allemagne et ses alliés.<br><br> | « Nous arrivons au dénouement, et c’est le moment d’avoir les yeux… bien ouverts. Alors je vais partir de l’article 231 du Traité de Versailles. L’Allemagne et ses alliés, sont responsables, pour les avoir causés, de toutes les pertes et dommages subis par les gouvernements alliés, en conséquence de la guerre qui leur a été imposée (qui leur a été imposée) par l’Allemagne et ses alliés.<br><br> |
Version du 8 janvier 2016 à 19:10
RETRANSCRIPTION
- Origine : travail de retranscription effectué par Véronique H.
« Nous arrivons au dénouement, et c’est le moment d’avoir les yeux… bien ouverts. Alors je vais partir de l’article 231 du Traité de Versailles. L’Allemagne et ses alliés, sont responsables, pour les avoir causés, de toutes les pertes et dommages subis par les gouvernements alliés, en conséquence de la guerre qui leur a été imposée (qui leur a été imposée) par l’Allemagne et ses alliés.
Ben ça c’est le dogme hein, c’est ce que vous trouvez dans la plupart des ouvrages. Monsieur Bourgeois par exemple dans son fameux manuel de politique étrangère, M. Bourgeois répète « la guerre a été imposée à la France et à la Russie par l’Allemagne ». Et c’est dans cet état d’esprit que j’ai grandi et que j’ai vécu, et je puis même vous dire que jusqu’à l’année dernière, avant que j’ai commencé cette enquête, j’avais la conviction que l’Allemagne était responsable de cette guerre, étant donné que l’évidence est là voyons, c’est l’Allemagne qui a déclaré la guerre, donc c’est bien elle qui est responsable.
Dans le journal Le Temps, le 2 mai 1919, c’est-à-dire au moment où les plénipotentiaires allemands allaient venir discuter du Traité qui sera le Traité de Versailles, Ernest Lavisse, cet Ernest Lavisse que vous avez vu déjà à deux reprises dans mes exposés, celui qui avait écrit les « Petites histoires pour servir à l’instruction des enfants », celui qui avait écrit une histoire illustrée « Une petite histoire de France illustrée », le même Lavisse, maintenant comblé d’honneur, écrivait ceci : « Vous voilà (il s’adressait aux allemands) vous voilà devant vos juges, pour répondre du plus grand crime de l’Histoire. Vous allez mentir, car le mensonge vous est congénital, mais prenez garde, car mentir est difficile, quand on sait que ceux qui vous écoutent et vous regardent, savent que vous mentez ».
Ils allaient mentir en disant ‘C’est pas nous seuls qui sommes responsables’. Or croyez-vous que les allemands soient seuls à mentir ? Ben quand j’ai commencé mon enquête, je me suis aperçu que de très graves mensonges avaient été commis dans les milieux officiels, français et ailleurs. Vous savez peut-être ce que c’est que le Livre Jaune ? Le Livre Jaune c’est un résumé, c’est un recueil, de dépêches diplomatiques, qui a été préparé par le Quai d’Orsay par les Affaires Etrangères françaises et qui a été publié en décembre 1914, quelques mois après le début de la guerre, pour montrer, sur les faits en fait sur les pièces mêmes, à quel point la France avait joué un jeu noble et droit défendant la paix. Eh bien on s’est aperçu, c’est pas moi qui l’ai découvert, pas mal de gens se sont aperçus, que ces fameux documents officiels, dont ma crédulité, à laquelle ou auxquels ma crédulité attachait le plus de prix, je me disais ce sont des pièces irréfutables, eh ben c’est un livre que l’on ne peut pas considérer comme sérieux, étant donné que ces documents-là sont déjà censurés, sont filtrés, et que certains mêmes, vous m’entendez bien ?, sont inventés. En particulier il y a une certaine dépêche 118 très importante sur laquelle j’appellerai votre attention qui est une dépêche fictive, qui n’a jamais existé. Et comme d’autre part le gouvernement russe avait lui aussi publié un livre qui n’est pas un Livre Jaune mais qui est un livre officiel, un livre publié par les Affaires Etrangères russes pour expliquer leur non responsabilité dans la guerre, on s’est aperçu, lorsque les archives russes ont été intégralement publiées, que sur 60 pièces 29 avaient été supprimées et que 19 avaient été falsifiées. Alors vous voyez à quel point il faut regarder les choses de près.
Je voudrais également vous citer une phrase de Renouvin. Renouvin c’est l’auteur de ce livre considérable une espèce de Bible qui s’appelle La Grande Guerre, et Renouvin passe encore aujourd’hui pour être l’homme qui connaît le mieux les origines de la guerre. Mais il s’est permis Renouvin d’écrire dans son livre la phrase que je vais vous lire : «Il est difficile d’apercevoir un lien précis entre la politique intérieure et la politique extérieure des Etats». C’est raide tout de même. Quand on pense que ce qui s’était passé en 1870 c’est ce que je vous ai expliqué, à savoir ce qui est reconnu aujourd’hui, que la déclaration de guerre du 19 juillet 1870, était vraiment.. avait vraiment des mobiles de politique intérieure, et quand on pense à ce qui s’était passé en 1792, vous savez bien qu’en 92 ce sont les Girondins qui ont déclaré la guerre à l’Europe. Pourquoi l’avaient-ils fait ? mais ils l’ont dit, de la manière la plus claire !
Monsieur de Narbonne, le duc de Narbonne à la tribune de l’Assemblée législative qui avait dit le 14 décembre 91 «si on ne fait pas la guerre attention, nos finances, nos finances vont être ruinées, le sort des créanciers de l’Etat en dépend !» parce qu’on était sur le bord de la faillite. Le Brissot, autre Girondin, qui avait dit le 30 décembre 1791 : « La guerre est indispensable à nos finances et à la tranquillité intérieure ». Bon, c’est clair hein, on sait aujourd’hui que les Girondins ont fait cette guerre pour avoir de l’argent, pour prendre l’argent des autres. Ben regardons donc s’il ne s’est pas passé quelque chose de semblable en 1914.
Je venais de vous raconter y’a peu de temps que, en décembre 1913, il s’était produit un évènement de politique intérieure extrêmement grave en France, à savoir la réapparition de Caillaux. Y’avait un nouveau ministère, qui s’appelait le ministère Doumergue et Doumergue avait pris aux finances Caillaux et Caillaux c’était l’homme de l’impôt sur le revenu. J’ai ajouté que les élections en 1914 n’étaient pas loin puisque la constitution du ministère Doumergue est de décembre 13 et que les élections vont avoir lieu en mai 14. Caillaux était la bête noire n’est-ce pas c’était l’homme à abattre. Eh ben y ‘aura une chance si je puis dire, c’est que la campagne épouvantable dirigée contre lui par le Figaro, va faire que madame Caillaux va aller tuer, tuer, d’un coup de revolver, le directeur du Figaro qui s’appelait Calmette. Ça se passe en mars 1914. Vous comprenez Caillaux ne peut plus rester lui l’époux d’une femme assassine ne peut plus rester au ministère des Finances on est débarrassés de lui. Une bonne chose de faite, mais on n’est pas débarrassés des élections. Et les élections qui vont avoir lieu deux mois plus tard, en mai 1914, ce seront des élections terrifiantes, laissez-moi vous dire le mot, des élections terrifiantes pour les Conservateurs, pourquoi ? Parce que pour la première fois on va voir les Socialistes dépasser le chiffre de 100, ils sont 101 ou peut-être 102 députés socialistes, et parce que pour la première fois depuis 1779 pour la première fois, le Centre gauche, qui s’appelle maintenant Fédération des Gauches ou Républicains de gauche, n’est plus en mesure de renverser un ministère. Jusqu’à présent, pendant toute la troisième République, le Centre gauche avait été l’axe, c’était lui sous des noms divers qui pouvait faire tomber des ministères qui lui déplaisaient, et maintenant avec la nouvelle Chambre ce jeu-là est fini ! Par conséquent le coup de l’impôt sur le revenu il est réglé, il va passer.
Il faut dire aussi que des évènements nouveaux se produisent, inaperçus, mais ceux qui savent les connaissent. Dans la répartition des forces françaises, la paysannerie est de moins en moins nombreuse, on n’en est plus qu’à 40 % maintenant, et le nombre des salariés dépasse en 1914 le nombre des non-salariés, j’appelle non-salariés les petits patrons. Eh ben en 1914 il y a 11 millions de salariés et il n’y a plus que 8,5 millions de non-salariés. D’autre part la CGT, Confédération Générale du Travail, dont les progrès avaient été très lents, et qui en 1906 n’étaient encore que 200 000, les voilà maintenant qui sont 600 000. Et il se passe quelque chose de bien plus redoutable, c’est que du côté de cette paysannerie qui semblait comme disait Ferry le roc de granit sur lequel repose la république, la république opportuniste et conservatrice, à l’intérieur même de la paysannerie les idées socialistes se répandent. Au point qu’avec terreur le journal l’Echo de Paris du 2 mai 1914 a écrit ce qui suit : « Le progrès du socialisme dans les campagnes est un fait lourd de sens, effrayant ».
Alors maintenant je vais vous apporter deux citations auxquelles je tiens considérablement. Je ne veux pas en tirer les conclusions excessives mais je veux que vous les entendiez. Alors voici d’abord ce que va écrire un Général, le Général Robillot, dans La Libre Parole qui est un journal d’extrême droite, le 13 décembre 1914 : «La guerre seule » je répète, écoutez-moi bien « la guerre seule pouvait nous sauver. C’est alors que la providence s’est manifestée en imposant à l’Empereur Guillaume II de nous attaquer ». Et je remonte maintenant à 1848. Un texte du Correspondant, le grand journal catholique, la grande revue catholique, de mai 1848. En mai 1848 c’était encore la Révolution vous savez, nous ne sommes pas encore aux journées de juin qui vont faire tenir tranquille le prolétariat et lui ôter au moyen de la mitraille un goût inconsidéré pour les revendications, en mai 1848 y’a encore une grande menace sociale. Alors ce Correspondant de mai 1848, a écrit les mots que voici : «Parmi les moyens propres à dissoudre l’accumulation des prolétaires, que des promesses exaltent et à qui le travail répugne, beaucoup de personnes mettent au premier rang l’avantage qu’on aurait à déverser dans une guerre étrangère le trop-plein de la population industrielle ». Eh bien ce que pensaient beaucoup de personnes en 1848 je suis convaincu que beaucoup de personnes y pensaient également en 1914, étant donné que le 2 juillet 1914 ça y est c’est fait l’impôt sur le revenu est voté. Mais entre le vote d’une loi et l’application d’une loi, il peut intervenir des évènements qui font que la loi n’est pas appliquée. Et justement ces évènements sauveurs comme dit le Général Robillot vont intervenir, et ces évènements c’est l’attentat de Sarajevo. C’est très célèbre cet attentat de Sarajevo qui est du 27 juin 1914. Qu’est-ce qui s’est passé ? Je vous ai rappelé une des dernières fois que la Bosnie Herzégovine avait été annexée par l’Autriche en 1909. Y’avait des irrédentistes, ah ben naturellement, y’avait des gens qui n’acceptaient pas cette domination autrichienne. Y’avait des révolutionnaires, et c’était deux révolutionnaires qui le 27 juin 1914 avaient tué le prince héritier, l’archiduc François-Ferdinand, celui dont on s’attendait à ce qu’il fut bientôt l’empereur d’Autriche, étant donné que le très vieux François-Joseph, qui était monté sur le trône en 1848, était là tout déclinant et au bord de la tombe. Alors évidemment cet assassinat de l’archiduc, enfin du prince héritier, le 28 juin 1914 à Sarajevo, est capable d’être l’étincelle enfin qui va tout faire sauter. Surtout si l’on peut établir que ces révolutionnaires, ces deux gars qui se sont jetés sur l’archiduc, sont des émissaires du gouvernement serbe. Vous savez les inquiétudes sociales dont je vous ai parlé du côté de la France, elles n’étaient pas propres à la France simplement. Les mêmes inquiétudes sociales existaient en Allemagne. Songez donc que la social-démocratie, c’est entendu y’avait une aile droite mais y’avait une puissante aile gauche dans la social-démocratie, elle représentait maintenant 35% de l’électorat allemand. Je vous dis bien que c’est pas la majorité mais 35% c’est quelque chose. Il y avait 4 250 000 adhérents à la social-démocratie allemande. Et vous savez à quel point Guillaume II en était inquiet. Le parti du centre en Allemagne qui est le parti du centre catholique à plusieurs reprises a même dit « mais c’est extrêmement inquiétant de voir le nombre de ces socialistes, étant donné que si nous avons des difficultés intérieures et que nous sommes obligés d’envoyer les soldats pour tirer sur les ouvriers mais comme ce sont des tas d’ouvriers syndiqués qui sont des soldats allemands, qu’est-ce que ça donnera ? » Donc inquiétude sociale considérable en Allemagne. Mêmes inquiétudes sociales en Autriche avec de grandes manifestations pacifistes et ouvrières et révolutionnaires en 1913, et bien entendu en Russie suprême inquiétude. Stolypine, qui était le Président du Conseil, avait été assassiné par des révolutionnaires en 1911, et vous avez vu assez qu’il y avait un clan puissant en Russie, avec Izvolski en particulier, qui pesait sur cette faible volonté du tsar pour lui dire « c’est le moment ».
« C’est le moment », eh bien c’est l’expression même que va employer Izvolski en adressant ses télégrammes de Paris à Saint-Pétersbourg, en disant « Si l’on veut utilisable la force française, c’est le moment ». Il faut vous dire, que Millerand a fait une imprudence, Millerand ministre de la guerre, de dire à Izvolski : « Nous sommes prêts », il avait employé ce mot-là « Nous sommes prêts ». Et les russes, qui avaient au fond un grand mépris pour le gouvernement français, les aristocrates russes vous savez qui disaient qu’est-ce que c’est que ces français c’est des Jacobins ? c’est des Franc Maçons ? c’est des incroyants ?, le gouvernement russe disait « la France elle est sur une mauvaise pente, avec la veulerie du radicalisme, avec la baisse démographique », en France il est vrai que la natalité était très basse, « si nous attendons trop la France ne sera plus ce qu’elle est aujourd’hui, mais elle est en 1914 à l’apogée de sa puissance, c’est le moment de l’utiliser». Et même comme il y avait aussi un parti de la paix en Russie, le parti de la paix c’était le parti du Tsar, ce Tsar qui nous fait penser au fond à Napoléon III, dont je vous ai assez dit qu’en 1870 Napoléon III contrairement à sa femme n’était pas enthousiaste de faire la guerre et que c’est le parti de la guerre qui lui a imposé, de même, y’avait un parti de la paix, un faible parti de la paix, auprès du Tsar, qui était là à lui dire ‘mais attention ne nous engageons pas trop’.
Alors on va voir, la presse française, une presse soldée, payée par Izvolski, qui va se mettre dans le coup pour essayer de persuader le Tsar qu’il faut pas être si magnanime, et Stéphane Lausanne, grand journaliste français, va publier dans Le Matin, une série de cinq articles, intitulée « La Plus Grande Russie », où il va commencer par déclarer que la Russie a une réserve de sept millions d’hommes, et il va mettre en scène un général fictif peut-être, un vieux général russe qui lui aurait dit exactement ceci : «Nous autres russes nous sommes toujours sûrs de vaincre par simple inondation » (puisque nous sommes sept millions). Quant aux ressources de la Russie d’après Stéphane Lausanne elles sont inépuisables, et attention à la phrase de la fin « La Russie », disait Stéphane Lausanne, qui est payé par Izvolski, « est un colosse débonnaire, laissant la France parfois un peu étonnée de ne pas voir cette grande Russie parler avec l’autorité que confère la plus formidable des puissances ».
Le travail que fait un Izvolski en Russie est semblable au travail que fait un De Molkte en Allemagne. Car le chef d’Etat-major allemand désire la guerre. Et c’est au mois de mai qu’il a dit « Tout ajournement diminuerait nos chances de succès ». C’est pourquoi monsieur Chastenay dans son livre sur la troisième République a un mot que je trouve absolument juste : « On voit s’agiter de plus en plus en 1913 et en 1914 dans les chancelleries », c’est-à-dire dans le monde diplomatique, « des porteurs de brandon ».
Bon alors, la suite de l’affaire de Sarajevo. Il s’agit de savoir si c’est le gouvernement serbe qui est oui ou non responsable et qui a armé ces deux yougoslaves qui ont tué François Ferdinand.
Eh bien à mon sens, et je crois que l’Histoire l’a maintenant établi, le gouvernement serbe n’y était pour rien. Et quelqu’un qui y était pour quelque chose c’était l’attaché militaire russe Artamanov. Les deux gars qui avaient fait l’attentat de Sarajevo appartenaient à un groupe qu’on appellera la main noire, un groupe qui était dirigé par le chef des services secrets serbes, qui s’appelait Dimitrievitch, et ce Dimitrievitch était en liaison constante avec l’attaché militaire russe Artamanov. Mais je crois pouvoir vous dire que le chef des services secrets serbes, Dimitrievitch, n’était pas dans la main du gouvernement, ça arrive vous savez que les services secrets ont une politique personnelle, eh bé le gouvernement serbe lui n’était certainement pas dans le coup, il avait peur de l’Autriche et il n’avait certainement ! pas armé les deux révolutionnaires qui s’étaient jetés sur François Ferdinand.
Alors Guillaume II, qu’est-ce qu’il va faire ? Eh ben on le voit plein d’hésitation. Vous vous rappelez je vous ai décrit comme j’ai pu le personnage, qui est un personnage multiple, hésitant, avec des facettes, avec des.. des coups de tête, des coups de sang. Il est zigzaguant. Le 12 juin, François Ferdinand, qui n’était pas encore mort, mais ça allait venir dans quelques semaines, était allé à Berlin, pour demander « l’Autriche peut-elle compter sur l’Allemagne au cas d’une nouvelle crise balkanique » et Guillaume II avait éludé, il avait refusé de s’engager. Ça c’était le 12 juin. Le 30 juin, y’a une note de sa main, celle-là est antithétique : « il faut en finir avec les serbes, c’est maintenant ou jamais » voilà ce qu’il dit aux autrichiens ; et les 5 et 6 juillet, recevant l’ambassadeur d’Autriche, Guillaume II a été cette fois catégorique : « Il faut éliminer la Serbie comme facteur politique dans les Balkans ».
Qu’est-ce qu’elle veut l’Autriche à l’égard de la Serbie, est-ce qu’elle veut l’avaler ? Oh mais pas du tout, les autrichiens sont déjà assez embêtés d’avoir chez eux des quantités de slaves pour ne pas annexer encore des millions de slaves qui rendra leur position plus intenable. Mais ce que veut l’Autriche à l’égard de la Serbie c’est la réduire à l’état de vassal, ne plus avoir à craindre la Serbie, et essayer de couper, si on peut, la Serbie de la Russie. C’est pas commode et Guillaume II à ce moment-là, voyant la menace qui pèse sur l’intégrité de l’Autriche-Hongrie, avait dit, au 5 juillet ‘allez-y, cette fois réduisez les serbes’. Mais la question est encore de savoir, si l’on peut considérer le gouvernement serbe comme responsable de l’affaire de Sarajevo.
Le 13 juillet (nous arrivons aux évènements capitaux hein ) le 13 juillet 1914, l’émissaire secret que les autrichiens avaient envoyé en Serbie pour faire une enquête, pour savoir si oui ou non le gouvernement serbe était dans le coup, le 13 juillet il envoie son rapport ; et ce rapport est parfaitement clair : non, disait cet émissaire, non, on ne peut pas dire que le gouvernement serbe est dans le coup et nous avons toutes les raisons de penser qu’il n’y est pas. Par conséquent la situation est en train de se détendre puisque les autrichiens eux-mêmes reconnaissent que non le gouvernement serbe n’est pas responsable de l’attentat de Sarajevo. Or, c’est au moment où la situation est en train de se détendre que Poincaré, président de la République Française, décide de se rendre de nouveau, de nouveau, en Russie. Il y est déjà allé en Russie, quand il n’était pas encore président de la République, il était président du Conseil, vous vous rappelez qu’il y est allé en août 1912 et qu’en août 1910 il avait pris au nom de la France un engagement terrible puisqu’il avait dit « la France soutiendra la Russie si jamais elle a une guerre avec l’Autriche »… Qu’est-ce qu’il va faire là-bas, qu’est-ce qu’il va dire ?! Ben figurez-vous qu’on ne le sait pas avec exactitude, on le devine, mais on n’a pas de preuve, parce que le fameux livre jaune, le document diplomatique français, est totalement muet sur ce qui s’est passé à Saint-Pétersbourg. Ce sont les.. du 21 au 23 juillet que Poincaré est en face d’un Nicolas II qui n’a pas osé venir à Saint-Pétersbourg à sa rencontre, pourquoi ?, parce qu’il y a une grève générale des ouvriers à Saint-Pétersbourg, vous voyez où en est la situation sociale russe, alors il n’est pas allé au-devant, le Tsar n’est pas allé au-devant du Président de la République française, se contente de le recevoir dans sa propriété de campagne qui s’appelle ? Kratznoïe Tsédo (18.02) avec bien entendu des militaires français et des militaires russes qui sont là à converser. Mais si nous n’avons pas de documents diplomatiques, si on nous a caché des documents diplomatiques révélant ce qui a été dit, on le sait cependant grâce aux indiscrétions de Paléologue, Paléologue c’était l’ambassadeur de France en Russie, à Saint-Pétersbourg, et en 1921, le 15 janvier 1921, dans la Revue des Deux Mondes, il a publié, en 21 vous savez nous avions gagné on pouvait tout dire, il a publié son journal. Et il dit que ce jour-là, le 21 et le 22 ces deux jours-là, Poincaré a sonné du clairon.
Voyons essayons de prendre bien une vue exacte de la situation. Y’a l’Autriche, qui est menacée dans sa sécurité intérieure, par le panslavisme, et elle est résolue au besoin par les armes, à faire cesser le panslavisme à l’intérieur de chez elle. Y’a l’Allemagne, qui n’a qu’une seule alliée sur le continent et qui sait qu’elle est encerclée, y’a l’Allemagne qui ne peut matériellement pas qui ne peut pas laisser écraser son Autriche. Alors si l’Autriche entre en guerre il est bien certain que l’Allemagne sera obligée de bouger. Mais est-ce que la Russie a comme l’Autriche un intérêt vital du côté du panslavisme ? Il est impossible de prétendre que l’arrêt du panslavisme en Autriche est une question de vie ou de mort pour la Russie, et encore moins, et encore moins pour la France.
Or je crois pouvoir vous dire, sans, sans imprudence, que ce que Poincaré là-bas a fait à Saint-Pétersbourg c’est ceci : il a expliqué aux russes ‘il est extrêmement important que nous ne portions pas devant l’Histoire la responsabilité du conflit. Il faut que nous nous arrangions pour que, le premier geste, le geste de déclenchement officiel, la déclaration de guerre, vienne des puissances centrales, c’est-à-dire de l’Allemagne et de l’Autriche. Nous, nous nous arrangerons pour que la déclaration de guerre soit le fait de l’Allemagne, mais nous nous arrangerons aussi pour que cette déclaration ait lieu, nous la provoquerons en douce’, et l’idée de Poincaré c’est de se servir de la Russie comme détonateur. Il faut dire que l’Autriche va entrer dans les projets de monsieur Poincaré de la manière la plus heureuse puisque brusquement le 23 juillet l’Autriche envoie un ultimatum, qui ne se justifiait nullement, à la Serbie. L’Autriche savait depuis le rapport du 13 juillet que le gouvernement serbe n’était pour rien dans l’affaire de Sarajevo, et néanmoins le 23 juillet au soir ils envoient un ultimatum à la Serbie avec des conditions à peu près inacceptables, dont une qui est intolérable à savoir que dorénavant ce sont des policiers autrichiens qui doivent collaborer avec la police serbe, qui vivront en Serbie et qui surveilleront l’activité des révolutionnaires yougoslaves.
Le 25, suivez bien les dates hein, le 25 juillet la Russie décide de procéder à une mobilisation partielle. Je me reporte là au journal de Paléologue, notre ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg, Paléologue le 25 juillet 1914 écrit à 19h « j’accompagnai Izvolski, l’ambassadeur qui regagnait Paris, à la gare, les trains sont bondés de soldats, nous concluons tous les deux ensemble : cette fois c’est la guerre ». Et le 28 juillet, alors que les serbes ont accepté les 9/10èmes de l’ultimatum autrichien, sauf un, celui qui leur imposerait la présence de policiers autrichiens sur leur propre sol, alors qu’ils ont montré une bonne volonté quasi totale, le 28 juillet brusquement l’Autriche décide « c’est la guerre, vous n’avez pas répondu suffisamment à notre ultimatum, nous attaquons » et ils commencent à envoyer des obus sur Belgrade. Alors là regardons bien les choses de près parce qu’on nous en parle pas bien souvent de ce que je vais vous dire et qui est capital : à savoir que les 28 et 29 Guillaume II va faire tout ce qu’il pourra et avec une insistance extraordinaire pour stopper les opérations. Déjà une première proposition de médiation anglaise était intervenue, Guillaume II l’avait écartée en disant « laissons l’Autriche régler son affaire avec la Serbie » mais maintenant qu’il sait qu’y’a une pré-mobilisation russe, que les Russes commencent déjà à réunir leurs troupes, il va peser Guillaume II de toutes ses forces sur François Joseph pour lui dire ‘arrêtez-vous arrêtez-vous, on pourrait très bien s’arrêter à Belgrade, les anglais proposent un stop de vos troupes à Belgrade et la réunion d’une conférence internationale’. Et dans les notes que nous avons retrouvées de la main de Guillaume II il y a ceci, un désaveu complet de François Joseph disant cela je ne l’aurais pas fait ; il n’y avait plus aucune raison de guerre. Et figurez-vous qu’il va y avoir six, six télégrammes, du chancelier Bethmann Hollweg à l’ambassadeur d’Allemagne en Autriche, dans la nuit du 28 au 29 juillet, pour essayer de stopper les opérations. « Nous devons », écoutez bien c’est le texte même du gouvernement allemand, « nous devons refuser de nous laisser entraîner par Vienne dans une conflagration internationale, nous allons nous trouver deux contre quatre si nous nous lançons dans une pareille opération. » Donc, une chance. Mais voilà que le 30 juillet à 16h, le malheureux tsar Nicolas II se laisse arracher, le mot n’est pas trop fort, se laisse arracher un ordre de mobilisation générale. Et c’est là que va intervenir cette grave falsification dont je vous ai parlé en commençant à propos du télégramme 118 de notre livre jaune français. Si vous vous reportez à ce document, qui semble un document de base et irrésistible, quoi un document officiel français vous y voyez, sous le numéro 118, un long télégramme de l’ambassadeur Paléologue expliquant au gouvernement français « devant la mobilisation autrichienne, devant la mobilisation générale de l’Autriche, le gouvernement russe s’est décidé à prononcer lui aussi sa mobilisation générale ». C’est faux, c’est un document entièrement truqué, on la connaît maintenant la dépêche elle tient en une ligne « j’avertis le gouvernement français d’une mobilisation générale en Russie» un point final. Tandis que le numéro 118 est un très long télégramme factice avec cet énorme mensonge que la mobilisation russe est une riposte, une réponse, à la mobilisation autrichienne. Or savez-vous les dates et les heures ? Eh bien la mobilisation générale russe est du 30 juillet à 16h et la mobilisation générale autrichienne est du 31 juillet à 8h du matin.
Cette fois ça y est, c’est le déclenchement du moment qu’il y a mobilisation générale russe l’Allemagne s’inquiète, l’Allemagne se dit ben l’Autriche va être écrasée on ne peut pas la laisser écrasée, et il va y avoir un télégramme suppliant, un télégramme suppliant !, de Guillaume II à Nicolas II au 1er août en lui disant « je vous en supplie stoppez les opérations ». Nicolas II refuse de stopper les opérations, déclaration de guerre de l’Allemagne à la Russie et déclaration de guerre de l’Allemagne à la France le 3 août.
Quelle avait été la position réelle de la France ? Eh ben sous Poincaré il y avait un Président du Conseil hein, ce Président du Conseil c’était Viviani, Viviani c’était un socialiste, c’est le troisième membre du parti socialiste qui a trahi le parti, le premier ayant été Millerand le second ayant été Briand le troisième étant Viviani. Viviani qui a pris le pouvoir et qui a fait voter l’impôt sur le revenu a tout de même dit à Poincaré « cette loi de 3 ans nous ne sommes pas très favorables, mais d’une manière provisoire et d’une manière passagère nous acceptons la loi de 3 ans » c’est tout ce que demandait Poincaré, la droite ne lui en demandait pas plus. Et il y a des télégrammes de Viviani qui sont en apparence apaisants, et qui disent à la Russie ‘n’allez pas trop fort’, mais nous avons par bonheur la correspondance secrète d’Izvolski qui a été publiée, et Izvolski explique à son gouvernement qu’il ne faut pas prêter attention à ce qu’a dit monsieur Viviani parce que ces télégrammes sont destinés à l’Histoire, et qu’en réalité voici ce que disait le ministre de la guerre Messimy « mais bien entendu oui mais continuez votre mobilisation et même accélérez-la ». Voici ce que disait le ministre de la guerre Messimy. On me dira également mais vous voyez bien que la France a été totalement irresponsable dans cette affaire puisque monsieur Viviani, prenant des risques incroyables, a ordonné aux troupes françaises un recul de 10 kms afin qu’il n’y ait pas d’incidents frontaliers entre la France et l’Allemagne. Et en janvier 1919 après la guerre Viviani tirera à la tribune de la Chambre un grand effet de ce recul en disant « c’était là un sublime sacrifice, un sacrifice qu’aucune nation excepté la France n’était capable de commettre ». Ben nous savons ce qu’il faut en penser du recul de 10 kms parce que nous avons aussi les documents établissant ce qui était dit en secret et tout bas au chef de corps, ‘loin de reculer avancez si c’est nécessaire’, et il y a surtout cette phrase terrible de Viviani à Paul Cambon (Paul Cambon pas Jules, Jules c’était celui qui était à Verdun, Paul Cambon c’était celui qui était à Londres ) où il lui dit « la seule raison », vous entendez, « la seule raison pour laquelle nous agissons ainsi c’est de prouver au gouvernement britannique que les français et les russes ne tireront pas les premiers ». Si le gouvernement français avait été vraiment résolu à faire la paix, à protéger la paix, qu’est-ce qu’il aurait fait ? Il aurait pesé de tout son poids avec le gouvernement anglais sur la Russie pour leur dire ‘arrêtez-vous, c’est la dernière seconde mais arrêtez-vous ‘. Au lieu de ça y’a une connivence franco-russe pour entraîner définitivement les anglais dans la guerre.
Ben vous savez l’opinion publique a été dupée, comme je l’ai été, Jaurès a été dupé, Jaurès quand il va aller à une réunion extraordinaire et pathétique de l’Internationale à Bruxelles le 29 juillet va faire saluer le gouvernement français en disant « ce que je peux vous dire c’est que mon pays n’est pas responsable, c’est que le gouvernement de mon pays fait tout ce qu’il peut pour sauvegarder la paix ». Y’avait, c’était trop tard vous savez, y’avait le mouvement, un énorme mouvement de chauvinisme, un mouvement qu’il faudrait essayer d’analyser, y’a une passion militaire à ce moment-là en France. Le gouvernement s’était méfié des insubordinations possibles, (27.08) ?majeur avait dit y’aura peut-être 13 % d’insoumissions, de gars révolutionnaires qui vont pas rejoindre. Savez-vous combien y’en aura ? 13 % prévus, y’en aura 2 %. On n’appliquera pas le fameux carnet B, carnet B la police avait un carnet où y’avait 3000 noms, les noms des agitateurs révolutionnaires qu’il fallait arrêter en cas de guerre.
On n’aura pas à utiliser le carnet B parce que tout le monde se précipite. Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? Ben y’a le sentiment qu’on est attaqués, hein, si l’Allemagne a déclaré la guerre il faut bien défendre le sol national. Y’a aussi l’idée sportive de la revanche, y’a tout de même des provinces à reprendre, vous savez l’Alsace Lorraine ça n’atteignait plus qu’un petit nombre de gens, mais y’avait tout de même l’idée ‘on a été battus autrefois, on sera victorieux cette fois-ci’. Y’a l’idée que ‘c’est la guerre des démocraties’, c’est ce que va croire un Péguy, Péguy dira « je pars pour la dernière des guerres ». On en a assez de vivre dans cet esprit d’inquiétude à l’égard d’une menace perpétuelle de l’Allemagne, eh bien on va l’écraser l’Allemagne, et après on pourra respirer ce sera la paix. Mais il faut ajouter encore autre chose vous savez, qui descend plus profond dans le cœur de l’homme, c’est-à-dire cette espèce de passion honteuse et inavouable pour le sang et pour la violence. Je pense toujours à ce mot de Victor Hugo qui a parlé de la « chair à canon amoureuse du canonnier ». Il est certain qu’y a dans le fond de l’homme une espèce de goût du sang, un goût de la mort. Eh ben tout ça fait que, le 1er et le 2 le 3 août 1914 y’a un incroyable enthousiasme, et le secrétaire cgtiste de la fédération des métaux dira plus tard « si nous avions voulu changer une seconde à faire une protestation, si nous avions voulu nous opposer à la guerre, ce ne sont pas les agents de la force publique, les flics quoi, qui nous auraient abattus, ce sont les ouvriers eux-mêmes. Eh ben ça y est alors, c’est la guerre, et on va constituer un gouvernement dit d’union nationale, et ce gouvernement d’union nationale, un gouvernement où pour la première fois depuis trente-huit ans, depuis quarante ans, les catholiques vont paraître ; on va voir monsieur Denis Cochin qui est en même temps quelqu’un qui s’occupe des intérêts de Saint Gobin, qui va être ministre. Union nationale ça veut dire on ne pense plus aux revendications, et on ne pense plus en particulier à l’impôt sur le revenu, et cette fameuse histoire de l’impôt sur le revenu qui était tellement importante dans l’esprit des affairistes, elle est étouffée, elle est finie, le budget 1915 sera établi sans impôt sur le revenu et il faudra seulement qu’en 1916 parce que la guerre tourne mal qu’on commence pour une petite part à l’appliquer.
Je ne veux pas dire, ne me faites pas dire, que le gouvernement français a déclaré la guerre à cause de l’impôt sur le revenu, mais ce que je peux vous dire c’est qu’il y a eu chez Poincaré, c’est le moins qu’on puisse dire, une connivence à l’idée d’un conflit général.
Fin